lundi 4 janvier 2010

Otages suisses en Libye, l’hypothèse Lockerbie

Depuis juillet 2008, la Libye retient prisonniers deux hommes d’affaires suisses, en représailles à la garde-à-vue de 48h d’Hannibal Kadhafi à Genève. Derrière lesquelles l’attentat de Lockerbie repointe discrètement son nez.


par Amédée Sonpipet
lundi 4 janvier

Max Göldi, 54 ans, représentant de la société ABB, et Rachid Hamadani, 69 ans, un ingénieur suisso-tunisien, risquent de contempler encore longtemps les murs de l’ambassade de Suisse à Tripoli.

Fin novembre 2009, ils ont été condamnés à 16 mois de prison ferme pour « violation des règles sur les visas » et pour « séjour illégal » en Libye. Un second procès devait se tenir début janvier 2010, les deux Suisses seront cette fois jugés pour « exercice d’activités illégales » et « violation du droit des affaires ».

En fait, leur seul tort a été de se trouver sur le sol libyen en juillet 2008. Au même moment, Hannibal Kadhafi, le fils le plus imprévisible du Guide de la Révolution, se fait embarquer par la police à Genève, ainsi que son épouse Aline. Installés au "Président Wilson", un palace 5 étoiles, ils auraient un peu trop rudoyé deux de leurs employés.


La Libye retire ses sous de Suisse

Ce serait pour se venger de cette humiliation (deux nuits en garde-à-vue et une forte caution), qualifiée par les manifestants libyens de « crime odieux », que Tripoli s’acharne contre Berne. Non seulement la Libye empêche deux Suisses de quitter le pays depuis plus de 500 jours, mais elle a fait fermer toutes les entreprises à croix blanche.

Plus de liaison aérienne entre les deux pays, Tripoli a déjà retiré 5 milliards de francs suisses (3,3 milliards d’euros) des banques helvètes, et s’apprête à y fermer un fonds souverain libyen, baptisé Libyan African Portfolio, riche également de 5 milliards de francs.

270 morts à Lockerbie

Mouammar Kadhafi lui-même réclame le dépeçage de la Confédération et demande à l’ONU de déplacer son siège européen hors de Genève. Bref, ça ne rigole pas du tout. Mais est-ce seulement l’honneur d’Hannibal qui est en jeu ? Son père est pourtant suffisamment au courant de ses frasques pour lui avoir retiré son immunité diplomatique…

En fait, c’est un vieux fantôme qui repointe son nez. Le 21 décembre 1988, un Boeing 747 de la Pan Am à destination de New York s’écrase au sol, sur le petit village écossais de Lockerbie, après avoir explosé en plein ciel. 270 morts. Douze ans plus tard, un seul homme est condamné à la prison à vie pour cet attentat, le Libyen Abdel Basset Ali El Megrabi.
Un minuteur fabriqué à Zurich

Employé des Libyan Arab Airlines à Malte, présenté comme un responsable important de la Jamahariya Security Organisation, les services secrets libyens, il est accusé d’avoir glissé une bombe dans une valise enregistrée en bagage non accompagné. Le régime du colonel Kadhafi est mis au ban des nations. Tripoli n’a jamais cessé de répéter que la Libye « en tant qu’Etat n’a aucune responsabilité » dans cet attentat.

Ce que l’on sait moins c’est que la principale pièce à conviction, le minuteur à pression atmosphérique qui se déclenche dès que l’avion a atteint une certaine altitude, aurait été fabriqué en Suisse, par la société Mebo, installée près de Zurich. Son patron Edwin Bollier a d’abord accusé la Libye de lui avoir acheté 20 minuteurs MST-13. Il a même affirmé avoir testé les minuteries dans le désert libyen en 1987 en compagnie d’El Megrabi…

Le jour de la libération d’El Megrabi

Depuis, Edwin Bollier, ruiné, a changé de version, évoquant une manipulation des services secrets américains. Mais pour la Libye, le mal est fait. Depuis, le pays du colonel Kadhafi a accepté de payer 2,7 milliards de dollars aux familles des victimes de Lockerbie, mais sans reconnaître sa culpabilité. « Il fallait signer pour faire lever les sanctions », assure Saïf El-Islam, autre fils du Guide, pressenti pour prendre la succession de son père.

« Le jour même où le ministre écossais de la Justice libère Abdel Basset Ali El Megrabi, le 20 août 2009, la Libye convoque de toute urgence Hans-Rudolf Merz, le président de la Confédération, à Tripoli et exige de lui des excuses pour l’arrestation d’Hannibal Kadhafi. Croyez-vous que ce soit une simple coïncidence ? », avance un proche du régime libyen.

La piste palestinienne

Depuis, le malheureux Hans-Rudolf Merz est dessiné dans la presse suisse avec le pantalon baissé : contraint de désavouer le gouvernement de Genève, sa police et sa justice, il est reparti de Libye… sans les deux otages suisses. Quant à ces derniers, cloîtrés à l’ambassade suisse à Tripoli, ils subissent mésaventures sur mésaventures.

Quelles sont les vraies exigences du Guide de la Révolution libyenne ? Veut-il que la Suisse, plus ou moins officiellement, reconnaisse que la Libye a joué les boucs émissaires dans cet attentat ? Des minuteries de la société Mebo auraient aussi été vendues à l’Allemagne de l’Est (les archives de la Stasi présentent Edwin Bollier comme un « collaborateur »). Par ailleurs, les premières enquêtes en 1989 s’orientaient plutôt vers une organisation palestinienne dissidente de l’OLP, le Front populaire pour la libération de la Palestine-Commandement général, plus ou moins soutenu par Damas.