Ré-édition /
Voici un article datant
de 2008 mais qui continue de rester d'actualité et que je propose à mes
lecteurs... Il édifie le Cameroun d’aujourd’hui
et explique comment une génération d'intellectuels a détruit l’avenir des générations de
millions de Camerounais après leur passage aux affaires.
Par Charles MONGUE
chmongue@yahoo.fr
La génération « école supérieure
» qui a gouverné le Cameroun après l’indépendance, dont on disait qu’elle était
limitée intellectuellement pour véritablement élever le Cameroun vers les cimes
qu’il mérite, a cédé la place depuis 25 ans à la race des «
Professeurs-Docteurs-Ingénieurs-Experts ». Mais alors qu’on pensait que le pays
allait emprunter le TGV du développement, il ne s’est jamais aussi mal porté.
Nos docteurs en doctorats, au contraire, donnent du Cameroun aujourd’hui une
image d’Etat idiot, qui ne sait pas où il va, et dans lequel les valeurs nobles
ont disparu. Ceux qui devaient être nos lumières nous ont plongés dans les
ténèbres de la bêtise humaine. Voici une petite palette des tares de ces
abêtisseurs du Cameroun.
Ils ont fait du diplôme une
consécration Ils usent leurs culottes à étudier, ils investissent les amphis
d’ici et d’ailleurs à accroître leur savoir, et ils engrangent de nombreux
diplômes, parfois brillamment. Mais dès qu’ils obtiennent un emploi, ils
succombent aux délices faciles du quotidien, caractérisés par le cycle
travail-espaces intermédiaires (circuits, restaurants, auberges)-maison (télé,
dodo). Ils affichent désormais leurs diplômes comme de simples médailles
rappelant leurs exploits scolaires passés. Ils ne lisent presque plus, ils
n’apprennent plus, ils ne se remettent plus en cause, ils ne font plus de la
recherche. Les diplômes leur ont servi à acquérir des strapontins sociaux, un
point c’est tout. Ne leur demandez surtout pas ce qu’ils peuvent apporter au
pays avec les connaissances qu’ils sont supposés avoir acquises, ils ne vous
diront rien, parce qu’ils n’y ont jamais pensé.
Ils ne sont que des consommateurs
d’idées Pour nos docteurs en doctorats, leur rôle se limite à énoncer les
problèmes (et encore !), les solutions venant de là où elles sont conçues
d’habitude. Voyez comment des gens qui sont supposés mieux connaître les
réalités de leur pays, se font dicter les mesures économiques par des jeunes
cadres parfois sans expérience du FMI et de la Banque mondiale ! « Là-bas » on
en est au système LMD à l’université, c’est bon, on l’adopte chez nous. Et
quand quelques-uns d’entre eux essayent de produire de la connaissance, ils
sont carrément raillés, comme le fut Pr Anomah Ngu avec ses essais de vaccin
contre le VIH/Sida. Seulement, en général, les solutions fabriquées ailleurs
sont inadaptables à notre pays, et comme nos docteurs en doctorats n’en
produisent pas, le résultat est celui que nous vivons.
Ils sont complexés /
Un recteur à Douala visitait sa
faculté de sciences avec son staff de grands professeurs, et ce qu’il a relevé
de grave c’est que les enseignants ne s’habillent pas en costume et cravate. Et
vous voulez que CICAM se porte bien quand des dirigeants d’une université
située dans la chaude capitale économique du pays imposent des costumes trois
pièces comme « tenue décente » à des enseignants travaillant dans des amphis
surchauffés? Parce que chez les «autres », c’est ça la grande tenue, chez nous
aussi ce doit être pareil.
Regardez ces « érudits » dans les
débats (façon de parler), et observez que leur argument massue préféré pour
défendre une idée, c’est « même en France ou aux USA, ça se passe comme ça ».
Notre pays n’avancera jamais si nous pensons que ce sont les « autres » qui
doivent décider de ce qui est bon pour nous.
Dire que nous
pensions que ce complexe était dû à l’illettrisme !
Ils renient leur savoir pour de la flagornerie/
Lorsqu’un linguiste agrégé
appelle l’épouse du chef de l’Etat « Madame la présidente, Son Excellence… »,
on se demande si on ne rêve pas. Qui d’autre que le linguiste devait tirer la
sonnette d’alarme sur les abus de langage au Cameroun ? C’est la même surprise
désagréable qu’on a lorsqu’une « sommité » du droit estime qu’on peut retoucher
la Constitution chaque fois qu’on le désire, comme un simple règlement
intérieur d’association. Un « grand » politologue officiant à l’IRIC s’invite à
tous les plateaux TV du Cameroun pour démontrer que la limitation des mandats
présidentiels est « antidémocratique ». C’est grave ! Nos docteurs en doctorats
n’ont plus aucun garde fou dans leur flagornerie à l’endroit du Prince : même
les connaissances sont tronquées pour ces bas desseins. Pas étonnant que les
taux de croissance et de chômage (les chiffres sur la population aussi)
tiennent plus de l’affabulation que de la statistique réelle. Un pays peut-il
avancer quand la science est sacrifiée à l’autel des lubies de ses dirigeants ?
Ils sont lâches et irresponsables /
Leur posture favorite lorsqu’ils
font semblant de critiquer le pouvoir en place, c’est d’imputer tous les maux
de notre pays à l’entourage du président. Couards comme ils sont, ils veulent
faire croire aux Camerounais qu’ils sont gouvernés par Dieu Le Père lui-même
(l’infaillible), simplement parce qu’ils redoutent d’éventuels « coups de tête
». Nos agrégés en agrégations admettent volontiers qu’ils ne pensent pas,
chacun de leurs actes étant posé « sous la haute impulsion de… ». Aucune de
leurs interventions publiques ne peut s’achever sans qu’ils citent « Le chef de
l’Etat, Son Excellence… ». Quand ils se font interviewer dans leur bureau, ils
font tout pour que la photo de celui qui parle à travers leur bouche apparaisse
à l’image. Or, comme une seule personne ne peut produire des idées géniales
pour tous les secteurs de la vie du pays, on se retrouve dans une situation où
rien n’est fait nulle part. Et flop !
Ils se prostituent dans les sectes et réseaux/
Pour accéder à des postes
importants et/ou pour se garantir un « enrichissement scandaleux », nos « longs
crayons » adhèrent aux sectes et réseaux qui pullulent (à découvert depuis
l’avènement du Renouveau) dans notre pays.
Malheureusement pour eux, ils ne
découvrent le vrai « mode d’emploi » de ces cercles mystiques et maléfiques que
lorsqu’ils sont déjà à l’intérieur, et les voilà soumis aux pires humiliations
: sodomie, cession d’épouses aux « maîtres » pour besoins sexuels, etc. Ils
roulent carrosse, ils ont l’illusion de posséder un pouvoir puisqu’on se lève à
leur passage, mais comme les prostituées, ils souffrent dans leur chair et leur
psychique. Ils deviennent donc envieux de la liberté et de la tranquillité
d’esprit des simples citoyens, ce qui engendre la méchanceté. Pas question
d’avoir le bien-être social en restant propre, sans endurer les humiliations
comme eux. On comprend ainsi aisément pourquoi le bonheur du peuple est le
cadet de leurs soucis. Mais dites, comment à ce niveau d’instruction nos
docteurs en doctorats ne savent-ils pas que rien sur cette terre ne s’obtient
sans contrepartie ?
Ils sont tribalistes/
La déclaration des « élites » du Mfoundi après les émeutes
de février 2008 au Cameroun en est une illustration forte, qu’il n’est point
besoin de commenter.
Dès que nos « savants » sont
nommés à des fonctions de pouvoir sur le plan national, ils courent festoyer au
village natal. Comme pour dire qu’ils sont ministres, députés, recteurs, DG ou
autres pour leurs frères du village. Ils soutiennent sans honte l’injuste
système des « équilibres régionaux » au détriment de la compétence, y compris
dans les examens et concours, et lors des recrutements et nominations à des
postes de responsabilité. Ainsi, « the right man at the right place » est
purement une vue de l’esprit au Cameroun, et l’évolution à reculons du pays est
une conséquence logique.
Ils sont menteurs et fourbes/
Quand on affirme,
pince-sans-rire, devant les caméras de télévisions que les morts lors des
émeutes de février 2008 doivent leur triste sort aux bagarres entre casseurs et
pilleurs qui ne s’entendaient pas lors du partage du butin de leurs forfaitures
; ou lorsqu’on déclare triomphalement qu’il y a eu « zéro mort » à Bamenda
pendant les années de braise, alors que des personnes sont mortes sous les
balles des forces de l’ordre, c’est grave. C’est grave parce qu’on est parent
d’enfants, et même (hélas !) enseignant, donc celui qui est supposé dire aux
jeunes que le mensonge est un vice. Le mensonge a tellement été banalisé dans
notre pays par ceux qui ont la charge de sa gestion, que le terme «politique »
est désormais synonyme de « mensonge ». Vous vous rendez compte qu’on a donné
des quitus de « bonne gestion » pendant des années à des DG d’entreprises
étatiques, alors qu’ils étaient en train de piller et tuer ces structures ?
SNEC, CAMAIR, CAMTEL, ONCPB, CNR, la liste est longue des entreprises mortes au
Cameroun à cause du mensonge et de la fourberie de nos «
experts ».
Ils sont amnésiques/
Au début des années 1990, beaucoup de nos « érudits » sont
montés au créneau pour dire que le Cameroun n’était pas encore prêt pour le
multipartisme.
Quelques semaines plus tard, les
mêmes revenaient sans honte expliquer la justesse du choix du chef de l’Etat de
promulguer les lois qui consacrent le multipartisme. En 1996, ils ont envahi
les médias pour présenter la nouvelle Constitution comme un modèle du genre en
matière de démocratie. Il n’y avait mieux nulle part : motions de soutien,
marches triomphales. Aujourd’hui, voici les mêmes qui reviennent, toute honte
bue, décrier « l’une des meilleures constitutions du monde ». Que dire de ce
professeur qui, plus jeune, avait vécu des grèves d’élèves au lycée à Bonabéri
et à l’université de Yaoundé, qui vient appuyer la thèse de la manipulation des
jeunes dans leurs récentes revendications. Il n’y a donc que la jeunesse du
Cameroun qu’il faut manipuler pour qu’elle réalise qu’elle a faim ? Au Burkina,
au Sénégal et ailleurs, les jeunes sont donc plus « mûrs » qu’au Cameroun ! Une
telle amnésie ambiante confine notre pays à l’éternel recommencement, donc à la
stagnation et au
recul.
Ils sont faibles et manipulables /
Il n’y a pas longtemps, on a dit
aux Professeurs-Docteurs-Ingénieurs-Experts du Cameroun qu’il fallait devenir
chef de village pour montrer qu’on « maîtrise » une portion de la population,
et obtenir ainsi une meilleure part du gâteau national. Alors ça a été la ruée
vers les chefferies dans les villages du pays : quand on était vraiment éloigné
de la famille régnante, on mettait sa fortune à contribution pour porter au
trône « sa » personne. L’autorité traditionnelle a été fragilisée,
décrédibilisée.
Demandez à ces trouillards de
marcher à quatre pattes en invoquant de « hautes instructions », et ils vont
faire mieux : ils vont ramper. De petits « indics » leur extorquent ainsi de
fortes sommes d’argent sous prétexte de pouvoir faire avancer leur dossier en
haut lieu. Le plus grave c’est que des maîtres d’EPS et de petits
informaticiens conçoivent des slogans et des arguments ridicules, et nos «
profs » les répètent comme des perroquets. Etre allé à l’école si longtemps
pour n’être que des marionnettes, c’est triste. Malheureusement l’incidence de
cette réalité n’est pas qu’individuelle ; le Cameroun en pâtit, car ces grands
diplômés qui nous dirigent sont tout autant manipulables par les étrangers. Et
nos entreprises, même de souveraineté, sont bradées ; les marchés et contrats
de dupes en notre défaveur sont légion.
Ils sont corrompus et voleurs /
Jadis, on identifiait les gens
qui avaient « beaucoup lu » par leur détachement pour les biens matériels. Ils
ne rêvaient que de reconnaissance pour leurs performances dans leur domaine de
connaissance. Aujourd’hui, les super diplômés rêvent de grosses voitures, de
châteaux, et de comptes bancaires obèses. Même au sein des universités, on voit
comment ils se battent comme des chiffonniers pour décrocher des « missions
juteuses ». Quand vous circulez dans nos grandes villes, on vous montre les
immeubles construits par tel agrégé, ou tel expert avec l’argent volé à l’Etat.
On s’est même servi de l’argent destiné à stopper l’expansion du VIH/SIDA pour
bâtir de colossales fortunes. Si la lutte contre la corruption et les détournements
était réelle dans notre pays, aucune université au monde n’aurait une plus
forte concentration de Professeurs-Docteurs-Ingénieurs-Experts que nos prisons.
Conséquence, comme ceux qui devaient avoir assez de distance avec le quotidien
pour penser le devenir du pays sont absorbés par la recherche des gains
faciles, le Cameroun est sur pilotage automatique.
Il faut préciser que les tares
relevées ici ne sont pas exhaustives. Ce qu’il y a de plus inquiétant, c’est
que cette race de « docteurs en doctorats » sans consistance est en train de se
renouveler, ce qui est normal, puisque beaucoup d’entre eux sont assez cyniques
pour continuer à enseigner. Une des preuves de ce nivellement par le bas est le
comportement des mototaximen : ils sont discourtois, imprudents, ils ignorent
le code de la route, pourtant on nous dit qu’ils sont en grande partie
titulaires de licences et de maîtrises.
Alors, quand les grands diplômés
d’un pays donnent une telle image d’ignorance de la vie en société, il y a de
quoi croire que le peuple dont ils sont supposés être les « éveilleurs de consciences
» est d’une idiotie proverbiale.
Heureusement que cette déduction ne résiste pas à
l’affirmation de cette grand-mère qui disait toujours qu’il y a l’intelligence
de l’école, et il y a aussi l’intelligence humaine tout court qui ne se mesure
pas au nombre de diplômes. Il n’y a donc pas lieu de désespérer du Cameroun,
car un pays ne se construit pas uniquement avec des agrégés, et les couches
moyennes qui portent le pays à bout de bras, sont en train d’apprendre à
satiété ce qu’il ne faut surtout pas faire si on veut faire avancer un pays.
Expérience qu’elles mettront à profit lorsque l’alternance se fera dans la
manière de penser et de conduire le Cameroun.